Une nouvelle crise financière se prépare
La prochaine crise n’est pas inévitable – elle sera le résultat de choix. Nos décideurs politiques peuvent décider de résister au lobby financier et renforcer les garde-fous, ou bien répéter les erreurs de 2008.

REUTERS/Lucas Jackson
Les leçons que nous aurions dû tirer de 2008
En 2008, le monde a subi la pire crise financière depuis la Grande Dépression. Les institutions financières savaient qu’elles étaient trop grosses pour faire faillite et ont pris des risques démesurés, confiantes dans le fait que l’argent des contribuables couvrirait leurs pertes quand les choses tourneraient mal – un phénomène appelé aléa moral. Peu incitées à se comporter de manière responsable, elles ont pris de plus en plus de risques dans leur quête de profits.
Quand le krach s’est produit, il a dévasté l’économie mondiale, entraînant dans son sillage un chômage de masse ; les contribuables se sont retrouvés à payer l’addition du coûteux sauvetage des banques. Des milliards d’euros d’argent public ont été mobilisés en urgence, ce qui a fortement pesé sur les budgets publics et mené à la suppression de services publics, aggravant les inégalités.
Le discours trompeur du lobby financier
En réaction, les gouvernements et les institutions internationales ont mis en place des standards internationaux pour freiner les pratiques à risque et réduire les chances d’une nouvelle crise. Mais aujourd’hui, ces protections durement acquises sont menacées. Le souvenir de la crise s’efface et le lobby financier fait son retour en force. Au sein de l’UE, les représentants de l’industrie financière s’appuient sur l’inquiétude suscitée par la croissance morose pour présenter les régulations en place comme un frein. Et plaident pour une dérégulation du système financier, qui, prétendent-ils, améliorerait la compétitivité de l’économie européenne. Un argument qui fait mouche auprès des décideurs politiques, et les conduit à détricoter les règles mises en place pour protéger le système.
Ce qui se passe avec les règles bancaires internationales, connues sous le nom de “Bâle III”, en est un exemple frappant. Mises en place après la crise pour rendre les banques plus solides, ces règles imposent aux banques de mieux gérer les risques, et d’avoir plus de fonds propres (aussi appelées capital bancaire) pour pouvoir couvrir leurs pertes en cas de crise. Avec un capital plus important, les banques ont moins de risques de faire faillite, protégeant ainsi les contribuables de coûteux sauvetages. Pourtant, en Europe, comme aux États-Unis, la mise en œuvre de ces obligations a été amoindrie et retardée. Les banques ont bénéficié d’exemptions et de délais.
Ainsi, à l’automne 2024, le parlement européen a approuvé la proposition de retarder l’application de la revue fondamentale du portefeuille de négociation (FRTB). Ces règles visent à garantir que les banques peuvent faire face aux pertes liées aux risques de marchés, comme lorsque le prix des titres et produits dérivés qu’elles échangent baissent. La FRTB a été introduite en 2016, dans le cadre de normes mondiales, mais a été reportée à 2026 au sein de l’UE.
Ces rétropédalages ne sont pas le fruit du hasard. Le lobby financier y tient le premier rôle. Il martèle que les règles qui rendent les banques plus résilientes limitent les crédits et donc la croissance. Mais ces arguments ne tiennent pas la route. Les banques bien dotées en capital prêtent plus d’argent, pas moins. La stabilité financière n’est pas un obstacle à la croissance, mais au contraire un pré-requis pour une économie prospère.
La course au moins-disant
Pour certains États membres de l’UE, retarder l’application des règles bancaires ne suffit pas. Ils sont de plus en plus nombreux à pousser pour un affaiblissement permanent des garde-fous financiers, dans une course internationale au moins-disant réglementaire avec les États-Unis et le Royaume-Uni. En début d’année 2025, la France a demandé des modifications importantes et durables à la FRTB. Dans une initiative commune avec l’Allemagne et l’Italie, elle a ensuite appelé à une réévaluation complète des règles bancaires de l’UE. La Commission européenne a répondu en promettant un rapport évaluant la “compétitivité” du secteur bancaire de l’UE. Le lobby financier a réussi à inverser les rôles : les banques présentant le plus de risques sont désormais présentées comme plus compétitives. La quête d’un prétexte pour démanteler les protections internationales avance à grands pas.
Quand les décideurs politiques, comme les membres du parlement européen, cèdent à ce genre de pression et affaiblissent les règles, les risques ne disparaissent pas, mais sont transférés aux citoyens. Les banques qui savent qu’elles sont trop grosses pour faire faillite sont libres de prendre des risques inconsidérés, sachant que ce sont au final les contribuables, les consommateurs et les travailleurs qui en payeront le prix. Ce qui, de fait, privatise les profits tout en mutualisant les risques – une leçon que nous aurions pourtant dû retenir de la crise de 2008.
Le naufrage du Crédit Suisse en mars 2023 nous a rappelé ce qui se passe quand les choses tournent mal. Des années de prise de risques, de mauvaise gestion, rendues possibles par une supervision insuffisante ont abouti à la chute d’une des plus grandes banques du monde. Une crise à feu lent, qui a érodé la confiance des investisseurs et a fini par provoquer des mesures d’urgence pour éviter la contagion et protéger le reste du système financier. Une fois de plus, de l’argent public a servi à stabiliser une institution financière dite “trop grosse pour faire faillite ».
Ce n’est pas un cas isolé. À peu près au même moment, les autorités américaines ont dû intervenir pour empêcher l’effondrement de la Silicon Valley Bank (SVB). Dans les deux cas, des lacunes dans la réglementation et une supervision défaillante ont laissé les banques accumuler les risques sans aucun contrôle. Au final, ce sont des garanties publiques et le soutien des banques centrales qui ont permis de renflouer ces institutions vacillantes, afin d’éviter un effondrement systémique.
Tout est question de choix
La leçon est claire. Au lieu de revenir sur les protections existantes, les décideurs politiques devraient renforcer la réglementation, s’assurer que les normes définies au niveau mondial soient pleinement appliquées, et que leur mise en œuvre fasse l’objet d’une supervision rigoureuse. Seulement 16 ans après la Grande Récession, le report des réformes, l’affaiblissement des règles, et le retour de pratiques dangereuses, préparent le terrain de la prochaine crise. Mais cette crise financière qui s’annonce n’est pas inévitable. C’est une question de choix. En refusant la course internationale au moins-disant de la réglementation bancaire, en soutenant la coopération mondiale et en s’attaquant aux risques émergents, il est possible de sauvegarder la stabilité financière et de protéger les générations futures.
Alors que le lobby de l’industrie bancaire lutte contre des garde-fous cruciaux, Finance Watch lutte pour éviter un nouvel effondrement financier.
Les règles de la finance ne sont pas gravées dans le marbre mais écrites par nos décideurs, qui peuvent être convaincus. La société civile peut se mobiliser pour pousser les responsables politiques à les changer.
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Max Kretschmer, Finance Watch