Rapport – L’intelligence artificielle dans la finance : comment faire confiance à une “boîte noire” ?
L’utilisation de l’IA dans les services financiers est en contradiction avec les principes fondamentaux qui sous-tendent la prise de décision dans la finance et la réglementation financière que sont l’obligation de rendre des comptes, la responsabilité et la transparence. Ce rapport appelle les décideurs politiques à réévaluer le cadre réglementaire, pour préserver la protection des intérêts des consommateurs et assurer la stabilité financière.
Une déconnexion entre l’IA et les principes de la réglementation financière
L’intelligence artificielle fait indéniablement partie de notre avenir. Mais, si le potentiel d’augmentation de la productivité et des profits est évident, il y a une tension fondamentale entre la manière dont l’IA fonctionne – en détectant des corrélations entre les données – et les principes de causalité et de responsabilité qui sous-tendent la réglementation financière.
Les systèmes d’IA génèrent des résultats sans fournir d’explications claires sur leur raisonnement. Cet aspect “boîte noire” place leur décisions au-delà de la capacité d’analyse humaine et rend le contrôle compliqué, sinon impossible.
La logique de “boîte noire” menace les consommateurs, la capacité de supervision et la stabilité des marchés
- La protection des consommateurs est menacée. Dans le domaine de la finance de détail, le déploiement de l’IA pourrait conduire à des évaluations de crédit opaques, à des tarifs et prêts discriminatoires, et à des conseils financiers trompeurs, autant de pratiques favorisant l’exclusion financière, qui affecte de manière disproportionnée les populations marginalisées.
- L’IA en finance est un défi sans précédent pour les superviseurs financiers. Les superviseurs chargés de faire respecter la réglementation sont à la peine face au rythme du déploiement de l’IA et ont du mal à remplir leurs missions.
- L’IA crée de nouveaux risques pour la stabilité financière. De plus en plus dépendantes de fournisseurs tiers d’IA, les institutions financières sont confrontées à des risques opérationnels liés à des systèmes externes non régulés. Le risque systémique généré par la concentration des acteurs est également à prendre en compte, alors qu’une poignée d’entreprises d’IA dominantes contrôlent des modèles et des infrastructures devenues critiques. La manipulation des données et l’épuisement inévitable des données générées par l’homme pour former les modèles d’IA sont autant de menaces supplémentaires, entraînant des résultats absurdes et l’impossibilité de détecter des informations fausses.
Malgré les dangers posés par une finance dopée à l’IA, les dirigeants européens se détournent d’une nécessaire prudence pour se jeter dans les bras de l’IA, envoyant le message que les profits et la compétitivité sont prioritaires à la protection des consommateurs et de la stabilité des marchés.
Nos demandes aux décideurs politiques
Sans des garde-fous réglementaires clairs et des mécanismes de responsabilité, l’utilisation de l’IA dans les services financiers fait naître des risques difficiles à détecter et à maîtriser. Risques qui menacent la protection des consommateurs et la stabilité des marchés, tout en dégradant la confiance dans le système financier dans son ensemble.
Pour faire face à ces défis et risques, Finance Watch appelle les décideurs politiques à trouver le bon équilibre entre la maximisation des gains d’efficacité permis par l’IA et la protection du système financier et de la société.
Nos recommandations
Principales recommandations
- La Commission européenne devrait étendre le champ d’application du réglement sur l’IA à l’ensemble des services financiers.
- La Commission européenne devrait réintroduire la directive sur la responsabilité en matière d’IA, proposée en 2022 et retirée en 2025. Cette directive établirait un régime de responsabilité clair, qui rendrait les fournisseurs de services basés sur l’IA responsables des dommages causés par les résultats des systèmes d’IA.
- La Commission européenne devrait évaluer les capacités légales et techniques des superviseurs à appliquer la réglementation actuelle de l’UE sur les services financiers maintenant qu’ils deviennent basés sur l’IA.
- La Commission européenne devrait mener une analyse des lacunes existantes dans la réglementation financière, pour identifier les adaptations nécessaires et amender les textes concernés afin de garantir la protection des consommateurs face à un secteur financier basé sur l’IA.
Bonjour,
On n’a pas un train de retard là ?
Depuis l’invention de la finance casino dans les années 70, les machines ont la main sur les marchés financiers. Aujourd’hui, 70 % à 90 % (!!!) des échanges des bourses sont générés par des algorithmes.
Ce sont donc des machines qui décident très majoritairement qui va s’en mettre plein les fouilles et qui va connaître la misère ; donc de qui va vivre grassement et qui va mourir. De mémoire, 12 bulles spéculatives – dont la dernière concernait la soi-disant inflation en réalité générée par des traders et des machines – ont depuis régulièrement ravagé les économies des pays et surtout les hommes, sans qu’aucun État n’intervienne réellement (sauf pour renflouer nos banques en faillite) ni ne manifeste même la volonté d’y mettre un terme. Dans la même veine, l’engouement pour les monnaies virtuelles (bitcoin et autres) – clairement fondées sur des systèmes de Ponzi – ne faiblit pas…
Alors, c’est très insuffisant de se préoccuper seulement des IA, c’est tout un système qu’il faut remettre en cause.
Bien cordialement.
Bonjour et merci de votre intérêt ! Et oui nous sommes d’accord qu’il y a beaucoup plus à faire !
Finance Watch s’intéresse de longue date à la réglementation du trading automatique (lire par exemple notre rapport « Investing not betting » dont une section est dédiée à la réglementation du High Frequency Trading https://www.finance-watch.org/wp-content/uploads/2018/08/Investing-not-betting-Finance-Watch-position-paper-on-MiFID-22.pdf ). L’IA a ceci de particulier qu’il est impossible tel quel « d’ouvrir le capot » pour comprendre ce qui s’est passé quand ça se passe mal, pour en tirer des responsabilités et des améliorations de la législation.
L’équipe a aussi travaillé sur la réglementation des crypto-actifs (voir sur notre policy portal https://www.finance-watch.org/policy-portal/legislative-files/crypto-assets/) mais de manière plus générale, travaille sur la question du court termisme et de l’allocation du capital par les marchés financiers depuis toujours. Dernier exemple en date, les propositions de coussins macroprudentiels pour compenser l’échec de la modélisation du risque climatique par les acteurs de marchés ici https://www.finance-watch.org/leblog/risque-climatique-les-citoyens-paieront-trois-fois-pour-limpreparation-du-systeme-financier/, notre travail pour renforcer l’agenda finance durable (exemple https://www.finance-watch.org/leblog/pour-une-finance-qui-contribue-a-leconomie-net-zero/), ou encore il y a plus longtemps, le combat contre la déreglementation des dérivés sur matières premières alimentaires https://www.finance-watch.org/press/finance-watch-welcomes-commission-decision-to-review-mifid-ii-commodity-position-limit-rules/.
Il y aurait des dizaines d’autres exemples, mais l’équipe aimerait faire beaucoup plus et pour cela nous avons besoin du soutien de la communauté ! N’hésitez pas à partager notre travail et à faire même de petites donations régulières, qui renforce à la fois notre force de frappe et notre légitimité !
Merci encore de votre intérêt pour la cause et pour notre travail
https://www.finance-watch.org/faire-un-don/
Pablo, pour Finance Watch